«Une publicité sans musique équivaut à retirer au moins 50% d’émotion du message»

maxime navert

lamajeure

À une certaine époque, les agences de publicité et les producteurs de musique devaient prendre leurs gants blancs pour communiquer avec des artistes pour leur acheter une chanson, raconte Maxime Navert. Ce dernier est compositeur et directeur artistique à Studio Lamajeure, une entreprise de postproduction spécialisée en publicité et en enregistrement de musique à l'image depuis les années 1990, qui a ajouté la création de musique originale il y a environ sept ans.

Selon lui, le virage s’est amorcé en 2011, à un moment où l’univers de la musique se cherchait un peu en raison de l’écoute en continu gratuite qui grugeait les parts de revenus. «Le groupe Karkwa a vendu la chanson Le pyroman à Coca-Cola, ce qui a provoqué un tollé, certains leur reprochant de vendre leur âme au diable», ajoute Mathieu Morin, mixeur en chef au même studio.

mathieu morin

lamajeure

«Louis-Jean Cormier s’était alors défendu en avançant qu'il s'agissait d'un revenu comme un autre, explique Maxime Navert. La crédibilité du groupe a ensuite décomplexé tous les autres qui souhaitaient secrètement pouvoir le faire et arriver à vivre de leur musique.»

Les mentalités ont depuis changé et il est assez commun de voir des marques approcher des artistes, qu’ils soient connus ou émergents, ou l’inverse.

Entre chansons d’album, musique originale et musique libre de droits

Aujourd'hui, trois approches s’offrent aux annonceurs qui souhaitent ajouter de la musique à leur publicité.

D’abord, il existe la musique libre de droits, ou stock, une sorte «d’usine à saucisses de la musique», de l’avis de Maxime Navert, où des compositeurs jouent sur les sonorités du moment pour produire un bon volume de chansons et les vendre moins cher. «Cela donne accès rapidement à des centaines de propositions, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il y a également un prix pour chaque format: Instagram, Facebook, message de 15 secondes ou de 30 secondes à la télé, message radio, etc.», souligne Mathieu Morin.

Maxime Navert estime toutefois que la qualité est généralement moins au rendez-vous. «Lorsqu’un client choisit cette avenue, c’est qu’il souhaite une musique de fond pas très inspirée, une forme de tapisserie sonore. Un concurrent peut reprendre la même, en même temps.»

«La création originale, une bonne façon de se démarquer.»

Ensuite, il y a la création d’une musique originale, à la manière du cinéma, faite pour l’image. Les prix varient selon le marché – une diffusion à l’international coûtera plus chère qu’au Québec –, mais aussi la durée (2 minutes, 15 secondes), le cycle de licence (un an, cinq ans), le fait d’inclure des chanteurs et des demandes particulières (orchestre, etc.). «Tout est négociable. Le prix ne devrait pas être un frein, car sur l’ensemble du budget, cela ne représente pas un important pourcentage, mentionne Maxime Navert. Et c’est une bonne façon de se démarquer.»

Publicité Subway qui propose une musique originale.

 

Enfin, l’achat de musique d’album est, en général, ce qui coûte le plus cher, selon l’artiste choisi. Cette solution se décline en deux possibilités: l’achat d’une chanson telle quelle, ou le réarrangement d’une chanson connue pour lui donner différentes sonorités. «McDonald’s a initialement acheté un extrait d’une chanson de Justin Timberlake qu’elle diffusait sans arrangement. Désormais, cette dernière est réadaptée chaque fois », explique Mathieu Morin.

C’est l’artiste qui fixe son prix. Une chanson de Supertramp, par exemple, vaut autour de 200 000 $. «Pour les entreprises, c’est une façon de profiter de la mémorabilité d’une chanson connue, mais aussi d’associer la marque à un style», affirme Maxime Navert.

Sans musique, une publicité peut-elle émouvoir?

«Outre la touche émotive, la musique cristallise une image de marque.»

Les deux experts sont catégoriques: le son dans une publicité vaut pour 50 % de l’émotion que celle-ci peut générer. «Une personne ne ressentira pas de frissons seulement avec une image sans son, à moins que ce soit une image personnelle, précise Mathieu Morin. J’ajouterais même à cela que c’est difficile d’aller chercher une émotion pure avec uniquement du son, sans musique.»

Démo de Lamajeure, inspirée de la campagne de DentsuBos pour l'entreprise Morinaga Milk Industry, qui illustre l'apport de la musique dans une publicité et toute la gamme d'émotion qu'elle peut susciter.

Outre la touche émotive, la musique cristallise une image de marque. «Certaines emploient toujours le même type de musique, comme Apple, illustre Maxime Navert. Au Québec, Metro s’est créé une ambiance sonore qui revient à chaque publicité et qui permet de dire que ça sonne “Metro”.»

Musique originale créée par Lamajeure pour la publicité de Metro.

Entrent également dans cette catégorie les signatures sonores dites mnémoniques, c’est-à-dire qui aident à se rappeler d’une marque, comme celles de Desjardins et de McDonald’s. «On a déjà essayé de concevoir de telles signatures en conception sonore, comme des rythmes ou du bruitage non mélodique, mais ça ne fonctionne pas: les gens n’associent pas le son à la marque, soutient Mathieu Morin. Ça prend vraiment une mélodie pour graver la mémoire.»

Des mécaniques à succès

Une chanson à succès ne signifie pas qu’elle est nécessairement accrocheuse. «Accrocheuse ne veut pas dire bon, prévient Maxime Navert. Mais c’est sûr que plus la mélodie est simple, plus elle restera en tête.»

«Le côté accrocheur vient généralement de la répétition.»

Il mentionne au passage que les gens demandent parfois qu’une musique accroche à la première écoute. «Ils sous-estiment parfois à quel point une publicité sera diffusée. De là, ils obtiendront ce côté accrocheur qui vient généralement de la répétition.»

Même s’il n’y a pas de recette miracle pour faire lever la sauce publicitaire, certains éléments y contribuent. «Dans le cas de la musique populaire, par exemple, la voix humaine demeure un des instruments les plus puissants, qui rend la chanson plus touchante, souligne Maxime Navert. Une bonne façon de s’en rendre compte consiste à enlever la voix de celle-ci: on aura l’impression que c’est un peu générique.»

L’emploi d'une sonorité qui a la cote, la clarté des idées véhiculées et la construction de la musique avec certaines courbes dramatiques se révèlent d’autres ingrédients importants.

Peu importe ce qu’on choisit comme musique dans une publicité, ultimement, il faut l’assumer. «L’erreur la plus fréquente, c’est de penser que la voix hors champ est la plus importante et de créer une superbe pièce sonore pour finir par diminuer complètement le son parce qu’on a peur. Tout le travail pour que la musique aille chercher une émotion est alors détruit.»