Vision créative: entrevue avec Sann Sava de Publicis Montréal

Comment définit-on une bonne création publicitaire en 2019? 

Notre métier a beaucoup évolué. On a aujourd'hui tellement plus d’information sur les gens: leurs préférences, la manière dont ils réfléchissent, dont ils consomment. Ces données dressent un portrait plus clair de la cible, certes, mais peuvent également devenir le cauchemar d’un créatif.

Il vaut mieux toucher les personnes qui comptent que de compter les personnes que l’on touche. Je suis de cette école. Alors que les messages sont omniprésents, la seule façon de se démarquer est de susciter une émotion, faire frissonner, interpeller.

«Il vaut mieux toucher les personnes qui comptent que de compter les personnes que l’on touche.» 

Et plus les émotions générées sont fortes, plus la portée sera grande. C’est d’ailleurs pour ça que le coup d’éclat a le vent en poupe. Qu’il se traduise par une expérience, une installation, une nouvelle ou un objet, il communique le message autrement. Il marque le consommateur, puis fait jaser entre amis et sur les réseaux sociaux.

Si les marques avaient un défi à relever, lequel serait-il ?

Le défi est de se réinventer, autant en agence qu’en entreprise. Et plus on a de l’expérience, plus c’est difficile parce que le cerveau devient paresseux. Il veut emprunter des chemins qu’il connait, dans lesquels il est confortable. Et le consommateur, lui, est de plus en plus hermétique aux actions publicitaires. Il faut donc trouver de nouvelles façons pour faire naître l’émotion.

Pourquoi l’émotion? Parce que c’est le levier le plus efficace pour susciter l’engagement. Bien au-delà de la simple loyauté, on veut que la marque nous parle, qu’elle nous ressemble, qu’elle s’adapte à nous. Les consommateurs doivent devenir des ambassadeurs. Il faut penser à leur parcours avant, pendant et après l’achat.

«Le défi est de se réinventer, autant en agence qu’en entreprise.»

Un rapport de Forrester explique le concept de digital sameness. Les marques ont investi massivement pour se créer un univers numérique et une expérience client digne de ce nom. Beaucoup offrent désormais une expérience nette, précise, mais dépourvue de créativité. Tout le monde est pareil. Notre objectif en tant que publicitaire: ramener de la créativité pour que nos clients se démarquent.

Les consommateurs sont de plus en plus exigeants et «empowered». Comment cela influence-t-il votre travail de publicitaire?

Ça me motive. J’ai toujours été partisane de l’authenticité. Les consommateurs d’aujourd’hui sont très lucides, ils connaissent les ficelles publicitaires. On doit leur raconter des histoires sans leur raconter d’histoire, inspirer en restant vrai.

Quel est le plus grand défi des agences en 2019?

Produire du contenu de qualité à petit prix. Les budgets rétrécissent et les formats s’allongent, mais c’est une réalité qu’il faut embrasser. Faire mieux avec moins, c’est ça le défi.

Il faut le voir comme une opportunité: des formats courts, des stories, du contenu audio, des robots conversationnels. Il faut penser autrement, et voilà pourquoi le casting des talents a changé. Les créatifs doivent avoir envie de jouer dans ce nouveau terrain. On a beaucoup plus de latitude sur le produit désormais, du début à la fin.

«On a beaucoup plus de latitude sur le produit désormais, du début à la fin.»

Et qu’en est-il du désir d’une bonne partie de la population de voir les choses s’améliorer, bouger? Quel impact ?

Les consommateurs estiment que les marques sont plus à même d’effectuer des changements sociaux que leurs gouvernements. Les marques soutiennent des causes et créent des causes, même.

Plus de la moitié des entreprises du Fortune 500 il y a dix ans a disparu. Le besoin de protéger l’environnement en est pour beaucoup. Tout ce qui est emballé dans du plastique doit se réinventer, rapidement. Cette réalité se vit en agence également. On doit engager la créativité au profit de notre communauté.

Quelle tendance risque surtout de transformer en partie votre travail au cours des prochaines années?

Selon moi, le métier va s’améliorer. L’intelligence artificielle – la création dynamique – va se charger des mandats plus fonctionnels comme la promotion et les ventes pour laisser aux créatifs ceux où la sensibilité humaine est requise.

Quelle offensive avez-vous trouvé inspirante récemment? 

J’ai vraiment adoré Project84. Chaque semaine, au Royaume-Uni, 84 hommes s’enlèvent la vie. Le sujet est complexe et extrêmement sensible.

L’agence a placé 84 «faux corps» en haut d’un immeuble. Le matin, les citoyens ont découvert cette vision choquante. Résultat: ils ont pris conscience de l’urgence d’agir. L’action était complétée par un site sur lequel on découvrait l’artiste derrière les sculptures, qui ont été moulées sur le corps d’un membre d’une famille touchée par le suicide d’un proche.

Entrevue réalisée pour l'infolettre «Sélection du mois», publiée en partenariat avec CBC Radio-Canada Solutions Média. Ce condensé créatif réunit chaque mois les meilleurs projets et campagnes réalisés.