28 Sep 2020
Richard Laniel est président du fabricant montréalais de manteaux Kanuk depuis 2015. Sa mission est de faire connaître à l’échelle planétaire les manteaux de la marque, fabriqués de manière artisanale depuis près de 50 ans dans un atelier en plein cœur de Montréal.
Votre objectif, en prenant les rênes de Kanuk, était de sauver la marque. Quel a été votre plus grand défi?
Il concernait, d’une part, le marché local et, d’autre part, le reste du monde. Ici, nous devions rajeunir une marque essoufflée, qui n’avait pas été touchée depuis plus d’une douzaine d’années. Il fallait la rendre attrayante aux yeux d’une nouvelle génération de consommateurs tout en renouvelant les produits qui composent la gamme.
Sur le plan international, nous devions nous tailler une place dans un écosystème non saturé, mais comprenant un très grand nombre de joueurs. À ce chapitre, nous souhaitions tabler sur la marque « Canada », qui, dans une catégorie comme la nôtre, crédibilise automatiquement aux yeux des marchés étrangers.
Comment fait-on pour conserver la confiance de sa clientèle existante tout en se développant pour plaire à de nouvelles générations?
«Nous avons constaté que les jeunes influencent beaucoup la génération plus âgée.»
Étonnamment, les goûts ne diffèrent pas énormément d’un groupe à l’autre. Ainsi, nous cherchions à séduire les jeunes, mais, en parallèle, même la clientèle existante demandait une modernisation, comme des manteaux qui s’harmonisaient davantage avec la silhouette. Nous avons aussi constaté que les jeunes influencent beaucoup la génération plus âgée. Donc, en leur parlant, l’on parlait par la bande à un public beaucoup plus large.
Quelle place occupent les données dans l’élaboration de votre vision stratégique?
Elles sont au centre de toute la transformation. Tout part de là chez nous quand on désire produire un plan stratégique. Nous disposions d’une banque de données de plus de 50 ans d’histoire, mais avec peu de composantes sur le plan qualitatif. Cela s’explique en partie parce que jusqu’en 2015, notre site web n’était pas transactionnel et que toutes les commandes étaient encore payables à la livraison. Donc, les possibilités de récolter de l’information étaient plus limitées. Il n’en reste pas moins qu’en bout de piste, les ventes constituent encore notre source de données la plus révélatrice.
On parle beaucoup de personnalisation, d’expérience client plus «humaine» ; est-ce réellement la clé de la réussite selon vous?
Certaines marques de vêtements de sport ont donné le ton en matière de personnalisation. Pour notre part, nous permettons aux acheteurs de personnaliser leur manteau par de multiples choix de fourrure, de couleur, de style, etc. C’est un avantage que nous possédons par rapport à des concurrents qui font produire de manière industrielle 20 000 ou 30 000 manteaux chaque mois en Chine. Nous offrons aussi à nos consommateurs la possibilité de tester leur futur manteau dans une chambre froide.
Certaines marques ont de la difficulté à nommer leur «raison d’être». Comment l’ADN local de Kanuk représente-t-il un avantage à cet égard?
À l’étranger, le Canada demeure synonyme de sirop d’érable, de homards et de vêtements chauds. Nous mettons donc l’accent sur certaines particularités de nos manteaux, notamment leur duvet huttérite canadien, reconnu comme un des plus chauds au monde. Parce que nos canards sont élevés à des fins alimentaires pendant deux ans, leurs plumes procurent un duvet supérieur à celui de canards élevés pendant seulement six mois. Les manteaux portent d’ailleurs à proximité de leur poche de gauche des explications écrites au sujet de cette importante valeur ajoutée. Nous misons aussi beaucoup sur notre héritage d’un demi-siècle. C’est un atout majeur quand on œuvre dans le créneau du luxe.
Vous arriviez de Best Buy. Comment Kanuk vous a-t-elle changé comme dirigeant?
Chez Best Buy, je dirigeais un vaste réseau de succursales regroupant 28 000 employés. Chez Kanuk, mon rôle est différent. Je me vois comme un chef d’orchestre qui touche à toutes les parties de l’organisation. De fait, je suis très présent dans toutes les sphères. Ayant passé 19 ans dans l’opérationnel et le commerce électronique, je maîtrisais bien ces disciplines à mon arrivée. Par contre, je ressentais le besoin de m’entourer sur le plan du produit et de son image. Donc, j’ai bâti une équipe forte en m’inspirant du principe qui dit que si on est la personne la plus intelligente autour d’une table de travail, on est dans le trouble!
On parle beaucoup de l’importance d’être agile. Est-ce un défi supplémentaire pour une PME ou, au contraire, un avantage?
«L’agilité, c’est un avantage, pas un défi.»
L’agilité, c’est un avantage, pas un défi. Notre équipe est relativement petite (NDLR : 200 personnes en période de pointe et 150 le reste de l’année). Par conséquent, d’importantes décisions stratégiques peuvent se prendre en moins qu’une heure, d’autant plus que nous ne sommes que six à l’administration.
De la même manière, en étant agiles, nous pouvons nous ajuster aux réalités propres de chaque marché pour mieux le servir. Un exemple? Au Japon, les consommateurs n’aiment pas s’afficher avec des marques et des logos trop visibles. En revanche, les Coréens adorent les vêtements avec des logos bien visibles. Donc, nous nous adaptons aux désirs des uns et des autres.
Cette agilité vous a été utile depuis quelques mois?
Oui, en effet. Ça m’a confirmé que j’étais bien entouré pour faire face à l’adversité. Toute l’équipe s’est mise rapidement en mode solutions. Dix jours après avoir fermé le 23 mars, nous étions déjà en train de fabriquer des sarraus pour les hôpitaux. Puis, le jour même où le gouvernement a recommandé officiellement le port du couvre-visage, nos masques étaient en ligne.
Que va-t-il rester de tout ça lorsque les choses seront revenues à la normale?
Beaucoup. Nous allons sortir de cette crise plus forts qu’avant, tant au niveau de la direction, que des processus et des stratégies. Car ça a aussi été pour l’organisation l’occasion de réfléchir à son futur et à l’évolution des besoins des consommateurs. Notre nouvelle division de vêtements de protection Kanuk Lab est là pour rester. Elle s’insère très bien dans notre ADN : protéger d’éléments extérieurs, comme le froid de l’hiver avec Kanuk ou la pluie et le vent avec Kanuk +0.
Il semble important pour vous d’aller sur le plancher à la rencontre des employés. Pourquoi ?
De septembre à mars, nos gens de l’administration passent énormément de temps en boutique pour parler aux employés ainsi qu’aux consommateurs. Moi-même, je m’y rends cinq ou six fois par jour. Quand vous démontrez aux membres du personnel que vous êtes un dirigeant facilement approchable, ils n’ont alors pas peur de dire la vérité. Ils deviennent même une source d’information aussi fiable et nettement moins coûteuse qu’une recherche marketing.
Et cette source nous aide autant sur le plan des tendances de consommation que de la production. Par exemple, si un employé me dit «La nouvelle poche est bien jolie, mais elle nécessite trois fois plus de temps à produire que l’ancienne», cela déclenchera une réflexion et des ajustements. Car quand on produit des milliers de manteaux, les délais de production de la sorte deviennent vite des enjeux majeurs.
Comme dirigeant, hormis la Covid, qu’est-ce qui vous préoccupe le plus en ce début de nouvelle décennie ?
Je voyais récemment que nous venons de vivre cinq des six hivers les plus chauds dans l’histoire. De même, le Japon n’a jamais reçu aussi peu de neige que cet hiver, alors qu’en Scandinavie, l’on a observé des températures anormalement élevées. Pour un fabricant comme Kanuk, cela confirme la nécessité de développer des produits de transition printemps-automne. Il faut par conséquent revoir notre positionnement à l’étranger, où l’on nous associe depuis toujours à de gros vêtements très chauds. Cela ne n’empêche pas vraiment de dormir, mais comme dirigeant responsable, je dois être à l’affût de telles réalités.
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Le dossier 4/4 Visionnaires marketing 2020 est une collaboration Deloitte et Infopresse.