Marie-Claudel Lalonde est directrice principale, stratégie et communication-marketing, de Loto-Québec. Elle est responsable de la planification marketing des loteries, notamment l’élaboration des stratégies pour maximiser le rendement d’investissement tout en innovant et en améliorant l’expérience client.
Vous avez déjà dit qu’il est important de constamment remettre en question le statu quo. Comment fait-on pour surprendre les consommateurs, dépasser leurs attentes?
Souvent, avec le temps, l’on agit de façon mécanique. On table sur nos succès et l’on refait ce qui marche. Toutefois, à long terme, cela peut nous rattraper si l’on se répète et qu’on n’innove pas.
Il ne s’agit pas de tout changer, mais d’au moins se poser la question chaque année, pour chaque marque, produit ou campagne. Est-ce que ça va bien? Pourrais-je faire différent ou mieux? Qu’est-ce que ça serait? Quels sont les risques? On choisit chaque année ce qu’on croit qui nous rapportera les meilleurs résultats et le meilleur mix produits pour atteindre nos objectifs et nos cibles.
Par exemple, il y a cinq ans, on s’est donné le défi d’entrer de plus en plus dans le monde du divertissement, ou plutôt le jeu-divertissement. On a creusé en détail ce qui, pour nous, définissait le jeu-divertissement; des projets ludiques (c’est notre ADN, on veut que les gens s’amusent), surprenants (on désire briser les codes, casser la répétition pour faire vivre de nouvelles expériences et éviter la monotonie) et socialisants (la majorité des Québécois achètent de la loterie, c’est rassembleur, on souhaite faire partie de la culture populaire).
Le but est de concevoir des expériences et des produits novateurs qui contiennent ces composantes. Par exemple, pour nos 50 ans, l’on voulait être surprenant et socialisant en s’ancrant dans la culture populaire. Je crois qu’on a réussi avec le retour de la Loterie mensuelle et le recours publicitaire au journaliste Bernard Derome.
J’ai une équipe talentueuse et curieuse qui s’intéresse aux tendances, à ce qu’on voit ailleurs, pas juste dans notre industrie. Parfois, même de petits changements peuvent faire une grande différence.
Loto-Québec est présente dans les médias traditionnels, au lieu de vente (8500 détaillants), dans les événements… Quelle place occupent le numérique et les médias sociaux dans vos stratégies?
La loterie constitue souvent un achat spontané. Par exemple, si le gros lot atteint 50 millions, hop, je tente ma chance. Les lieux de vente et les médias traditionnels s’avèrent donc toujours essentiels.
Mais le numérique l’est tout autant. On doit y être et offrir ce que le consommateur recherche. Comme pour la majorité des entreprises en numérique, il y a beaucoup à faire. Plusieurs projets technologiques sont donc en cours chez nous et le contexte des derniers mois n’a fait qu’accélérer le développement. Il faut les prioriser et voir ce qui suscite le plus d’impact. On doit livrer en continu, ne pas attendre que tout soit parfait.
«Pour moi, l'histoire est aussi importante que la solution technologique.»
Ce qu’il ne faut surtout pas oublier dans le numérique, c’est l’histoire qu’on veut raconter. Pour moi, elle est aussi importante que la solution technologique. Il faut le bon message, le bon ton en lien avec nos valeurs et notre raison d’être. Trop souvent, dans le numérique, les bons outils sont en place, mais les exécutions ne suscitent pas d’émotions. Il faut parler à nos consommateurs, les accompagner, puis sentir la proximité.
Les médias sociaux nous permettent justement d’entrer en relation avec les Québécois, de faire partie de la culture populaire. C’est essentiel aujourd’hui dans une stratégie de marketing. Avec les réseaux sociaux, l’on donne une place au soleil à certains produits qui, autrement, n’obtiendraient pas de visibilité. On touche des cibles précises en lien avec nos produits; les amateurs de pêche, d’humour ou de yoga.
Et l’on va se le dire, les réseaux sociaux représentent un des meilleurs endroits pour obtenir le pouls des consommateurs sur nos actions.
La création de contenu fait-elle aujourd’hui partie intégrante de votre stratégie publicitaire? Comment fait-on en 2020 pour aller chercher le cœur du consommateur?
On le sait tous, la publicité est de plus en plus « zappée ». Il ne faut donc pas qu’elle laisse indifférent ou même irrite nos consommateurs. On ne peut plus laisser une exécution en ondes durant six mois. Les consommateurs se lassent. Il faut les divertir, les surprendre pour qu’ils aient le goût d’en parler et d’acheter.
Lors des retours de création avec nos agences, c’est intéressant de redevenir le client, l’espace d’un instant, de laisser un peu de côté nos contraintes d’annonceur. Ça permet de sentir ou non si c’est une bonne exécution, si elle procure un rire ou une émotion, puis de voir ensuite comment on peut travailler avec les contraintes.
Le Québec s’est approprié l’expression «Tu devrais acheter un 6/49». Que faites-vous pour engager et mesurer l’engagement des consommateurs?
Cette offensive – signée Sid Lee – a marqué l’imaginaire des Québécois. On l’entend partout! Les gens reprennent l’expression dès qu’ils ont un moment de chance. C’est un insight tout simple, mais tellement vrai. C’est ancré dans le quotidien des Québécois et cela fait maintenant partie de la culture populaire.
La campagne #tudevraisacheterun649 est de Lotto 6/49, mais elle rayonne sur la catégorie des loteries dans son ensemble. Avec l’agence, on l’a fait évoluer au fil des ans : télé, affichage, vidéos web, contenu de réseaux sociaux, coups d’éclat, etc. Cette marque est omniprésente, et chacun a sa meilleure pub de 6/49.
L’engagement, on le voit et l’entend partout. On le mesure surtout dans nos réseaux sociaux. Chaque exécution génère des milliers de «J’aime», de commentaires et de partages.
Comment traduisez-vous le son de cloche de vos consommateurs sur le plan du produit?
En étant authentique et transparent. Les probabilités de gagner à la loterie sont minces, on ne s’en cache pas. Mais tout le monde a le goût de tenter sa chance de temps à autre, tout le monde a le goût de rêver. Comme quand on participe à un concours.
Tous parlent d’agilité, mais encore peu d’organisations peuvent le déployer à grande échelle. Comment ce besoin de plus de souplesse se traduit-il dans vos façons de travailler à l’interne?
Cela fera bientôt 20 ans que je travaille pour des loteries, et j’y ai vu et contribué à une grande évolution des méthodes. Les gestionnaires aujourd’hui ne peuvent plus voir toutes les pièces produites ou tous les détails d’un projet, car tout se déroule à une vitesse exceptionnelle. On a qu’à penser aux réseaux sociaux. Avant, l’on produisait un calendrier de contenu approuvé qu’on suivait. Maintenant, l’on planifie toujours, mais on doit s’ajuster, réagir en temps réel, saisir les occasions en lien avec la culture populaire et l’actualité du Québec.
«Il faut définir le carré de sable et les limites, puis laisser les équipes y travailler.»
Pour un gestionnaire, de nos jours, il faut une vision claire qu’on exprime souvent. Il faut définir le carré de sable et les limites, puis laisser les équipes y travailler. L’on doit établir une grande confiance avec ses employés.
Quelle est la qualité la plus importante que doit aujourd’hui posséder une entreprise? Et un gestionnaire?
Pour une entreprise, le plus important reste l’authenticité et être en adéquation avec sa raison d’être et ses valeurs. Tout va tellement vite, on a l’opinion claire de nos consommateurs, il faut pouvoir leur répondre avec authenticité.
Quant au gestionnaire, il doit établir un milieu engageant et sain, où il y a de la confiance, de la collaboration, du respect et aussi beaucoup de plaisir! Il doit également créer un milieu favorisant l’autonomie, être clair sur la vision et le carré de sable, et laisser le plus possible la liberté d’action.
Le contexte actuel de la COVID change définitivement la dynamique d’une équipe. On a vécu plusieurs rebondissements et on a réussi à très bien s’en sortir en étant tous à distance. Mon équipe m’a grandement impressionnée. Mais parfois le partage des nouvelles, de la vision et de l’évolution du plan d’action est plus difficile. Il manque aussi l’effet de communauté, ce sourire en arrivant le matin, les bruits de corridor, il manque l’ambiance. Au cours des prochains mois, nous essayerons de le recréer virtuellement.
Recrute-t-on différemment aujourd’hui?
La notion de bien-être et de flexibilité est essentielle avec le rythme du travail qui s’accentue. Pour aller chercher les meilleures ressources, il faut savoir entendre leurs besoins.
Je n’ai pas eu à recruter récemment, mais la COVID, avec ses entrevues en virtuelle la plupart du temps, doit entrainer son lot de défis. Il manque le non-verbal, il y a sûrement des angles morts. J’imagine qu’il faut creuser davantage pour bien connaitre les candidats.
Quelles sont vos priorités en ce moment?
Les derniers mois auront effectivement été mouvementés, mais tranquillement ça reprend un cours normal. Les Québécois ont plus de jamais besoin de se divertir et de se rassembler, même si c’est virtuellement. On travaille donc en ce sens. L’achat en ligne a aussi pris beaucoup d’ampleur; nous nous attardons à offrir la meilleure expérience pour nos clients.
Et pour les prochaines années?
La priorité est de continuer d’avancer, d’être innovant et d’offrir une expérience de loterie engageante. Le divertissement est omniprésent, l’on veut proposer des jeux, des expériences en adéquation avec ce que les gens recherchent lorsqu’ils souhaitent se divertir. Et c’est avec l’intelligence collective, des gestionnaires et des employés passionnés et talentueux qu’on additionne les bons coups nous permettant d’avancer.
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Le dossier 4/4 Visionnaires marketing 2020 est une collaboration Deloitte et Infopresse.