18 Mar 2020 Impertinence
Pourquoi considérez-vous la publicité des années 1970-1980 comme une référence et une source d’inspiration?
«La communication est aujourd'hui marquée par la bien-pensance, le politiquement correct.»
Cette époque a été l’âge d’or de la publicité, en tout cas en France. Suite au développement des médias et à l’arrivée de la publicité anglo-saxonne, le métier s’est beaucoup développé. Nous avons découvert un nouvel acteur, le consommateur, et avons du nous intéresser à lui, le séduire, le comprendre. Dès lors, la publicité a été un outil de divertissement en faveur des marques. Les expressions sont devenues joyeuses, colorées et impertinentes. En ce sens, on peut considérer que la communication a perdu quelque chose ces derniers temps. Elle a perdu de son impertinence. La publicité a commencé à faire place à ce qu’on peut considérer comme de la propagande. Les entreprises ne la considèrent plus comme un outil de divertissement pour rendre leurs marques sympathiques et assument une raison d’être vertueuse, parfois moralisatrice. La communication est marquée par la bien-pensance, le politiquement correct, et on finit par ne plus beaucoup l’aimer.
Les outils numériques et, plus largement, Internet sont-ils les responsables d’une certaine créativité lissée, uniformisée et sans réelle prise de risque?
«Le web a contribué à l'appauvrissement du métier.»
Internet est en partie responsable de cet appauvrissement du sourire. Dans les années 80, la publicité était plus artisanale, moins hiérarchisée, les gens étaient un peu plus fous et plus proches du métier d’artiste. D’ailleurs, beaucoup d’artistes étaient, à l’époque, contents de travailler pour la publicité.
Aujourd’hui, on constate une modification de l’état d’esprit. Le web a contribué à l’appauvrissement du métier. C’est un secret pour personne : le fort taux de pénétration des Ad Block est le signe que les gens n’aiment plus la publicité, car elle est à la fois ennuyeuse et intrusive. C’est même devenu une nuisance. Avec Internet, les annonceurs ont également cru qu’on pouvait produire n’importe, pas cher. C’est une erreur. Certaines idées ont besoin d’argent pour être fabriquées.
Le web a rendu les gens méfiants. Sur Internet, on peut mentir, les organismes de contrôle n’existent pas ou ne sont pas très rigoureux. Dans les années 80, il existait des instances qui régulaient la publicité, et le public était plus détendu. Les gens n’étaient pas dupes, la publicité annonçait la couleur et tout le monde jouait le jeu.
Quelle doléance adressez-vous aux publicitaires et créatifs aujourd’hui?
«Les marques de soda ou de snacks sont les dernières légitimes à parler d’écologie ou d’équilibre alimentaire.»
J’admire beaucoup les créatifs aujourd’hui car il faut énormément de talent et d’enthousiasme pour réussir à trouver des idées au milieu des contraintes et de la bien-pensance. Quand la publicité arrête de se prendre pour ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire un organe de propagande, elle peut divertir. Le dernier Superbowl en est un bon exemple : la publicité reprend sa place en tant que vecteur de divertissement. Soyons franc: les marques de soda ou de snacks sont les dernières légitimes à parler d’écologie ou d’équilibre alimentaire. Pourtant, des entreprises comme Coca Cola s’emparent de ces sujets pour vendre leurs cochonneries. Ces contradictions nuisent à la publicité. Certaines marques ne sont pas légitimes à aller sur le terrain de la RSE, et il va falloir que la publicité redevienne spectaculaire et impertinente. Mais je reste optimiste. On ne peut pas vivre dans un monde sans impertinence, surtout quand ce dernier devient de plus en plus difficile.