30 Sep 2019 Communications et relations publiques
Geoff Molson a beaucoup répété que vous avez été embauché pour créer de la cohésion au sein du groupe et auprès de ses différentes entités corporatives. Quel était votre mandat, exactement?
Le travail de Donald Beauchamp, mon prédécesseur, était concentré sur le Canadien de Montréal. Mais le groupe CH est devenu beaucoup plus gros depuis quelques années. C’est le Festival de jazz, Evenko, Spectra, une partie de Juste pour rire. C’est aussi le Rocket de Laval, la Place Bell, le Centre Bell… Ce dont Geoff s’est rendu compte, c’est que toutes les unités d’affaires du groupe ont un impact sur la marque ultime: Molson. La famille Molson. Il faut donc assurer une certaine cohésion sur le plan des communications entre les différentes marques.
Y a-t-il une mission cohérente entre tout ça ? Suit-on une ligne directrice?
En fait, la mission principale du groupe, c’est de divertir. Comme on dit en anglais, on fait de l’entertainment. Que ce soit au niveau des arts, des spectacles ou du sport, on vend des billets en s’assurant de la qualité de ce qu’on présente. Et parce qu’on a un public large, très varié, on veille à bien communiquer nos offres aux publics auxquels elles s’adressent. Les amateurs de jazz ne sont pas nécessairement des fans de hockey. Cela dit, dans mon quotidien, le hockey prend beaucoup de place.
Justement, parlons de hockey. Depuis votre arrivée, on dit que le Canadien gagne plus les médias qu’avant, qu’il engage plus la conversation avec ses partisans. Est-ce vrai?
Oui. On est très présents dans les médias sociaux. Notamment avec notre HabsTV, un groupe de cinq à six personnes, dont trois qui voyagent avec nous. Ils filment tout ce que les joueurs font. D’ailleurs, ce qui est un peu rigolo, c’est que Marc Bergevin et Claude Julien aimeraient bien qu’on se concentre sur le hockey, mais on s’est rendu compte que le public s’intéresse beaucoup à ce que les joueurs font à l’extérieur de la patinoire !
Marc Bergevin semble être plus présent dans les médias, aussi.
«Quand je suis arrivé, je lui ai dit: "Marc, il faut que tu sois plus présent".»
En effet. À l’origine, il n’était pas un gars qui parlait beaucoup. Il sortait une ou deux fois par année. Quand je suis arrivé, je lui ai dit : « Marc, il faut que tu sois plus présent. » La saison dernière, on l’a entendu six ou sept fois dans les médias. Il en fait beaucoup plus, et il est bon dans ce qu’il fait. Quand il explique le hockey, il est excellent.
D’ailleurs, c’était la première fois, l’année dernière, que le club annonçait lui-même un salaire.
«Une petite leçon tirée de mes trente ans de carrière: il faut choisir ses batailles.»
J’aimerais partager avec vous une petite leçon tirée de mes trente ans de carrière : il faut choisir ses batailles. En ce qui concerne les salaires, par exemple, puisqu’ils allaient être rendus publics d’une façon ou d’une autre, on a convenu qu’il fallait être authentiques dans nos communications. Cependant, le combat que j’ai déjà mené, mais que j’ai laissé aller, est celui qui touche les fameuses blessures des joueurs : « le haut du corps » et « le bas du corps ». Vous savez, il y a une raison pour laquelle les gars de hockey ne veulent pas parler de blessures : ils y voient un enjeu de compétitivité. Ils ne veulent pas que l’équipe adverse sache que tel joueur a mal au coude ou à l’épaule, car au prochain match, ses joueurs pourraient profiter de son handicap.
Vous semblez assez transparent, mais on ne peut pas s’empêcher de penser, quand on regarde les Canadiens de l’extérieur, de voir une forme de barrière. Une sorte de secret entoure cette équipe. Est-ce voulu ?
On est une entreprise privée. C’est sûr que des gens achètent des billets pour venir voir une partie de hockey, mais on ne peut pas tout dire. Marc a comme politique de ne jamais parler de négociations ou de contrats avec les journalistes. Comme la LNH compte 31 équipes qui veulent toutes gagner la Coupe Stanley, tout le monde s’écoute, tout le monde s’épie. Alors l’information qu’on donne aujourd’hui peut aider les autres équipes. Nos adversaires. Si Marc Bergevin révèle à un journaliste qu’un joueur évoluant dans la ligue collégiale américaine l’intéresse, peut-être qu’une autre équipe commencera à s’y intéresser, elle aussi.
«On ne peut pas tout dire. Tout le monde s’écoute, tout le monde s’épie.»
Dans nos communications avec nos fans et nos détenteurs de billets de saison, je crois donc qu’il faut moins parler de transparence que d’authenticité. C’est ce que j’essaie d’amener dans nos réseaux sociaux et au niveau de la présence de nos dirigeants. Geoff essaie de sortir le plus souvent possible, parce que ça prend une communication directe. On a un beau produit. On doit offrir certains éléments de nouvelles, tout en sortant un peu des sentiers battus. Et pour revenir à votre question, c’est vrai qu’il y a toujours eu un certain secret entourant le Canadien.
Quand Geoff Molson va dans les médias, que vous lui conseillez-vous si on lui pose une question à laquelle il ne peut pas répondre?
Il faut expliquer pourquoi on ne peut pas répondre. Il y a trois façons de répondre à une question : «Oui, j’ai la réponse, la voici.», «Non, je n’ai pas la réponse, mais je vais aller m’informer et je vous reviens.» ou «Oui, j’ai la réponse, mais pour des raisons de confidentialité, je ne peux pas vous en parler.».
Ça se dit?
Tout à fait. Les journalistes comprennent. Certains vont se réessayer par la porte arrière, mais encore une fois, le but est d’être authentique.
Ça prend des années pour construire une image publique, mais aujourd’hui, avec les médias sociaux, on peut détruire cette réputation en quelques minutes. Comment gère-t-on ça ?
Je vois ça comme une banque. Pendant des années, l’entreprise fait des dépôts dans son compte de crédibilité. Prenons Bombardier, par exemple. Cette entreprise a connu une évolution extraordinaire. Mais il y a deux ou trois ans, elle a eu à composer avec certains enjeux avec la C-Series et les salaires de ses dirigeants. Aujourd’hui, malgré la vente de sa C-Series à Airbus, Bombardier a encore une cote d’amour. On s’intéresse toujours à ce qu’elle fait, à ses bons coups. Elle nourrit les médias. La leçon à tirer pour une entreprise, c’est de toujours faire parler d’elle quand elle a une bonne nouvelle à annoncer. Quand on a beaucoup de «sous» dans sa banque de crédibilité, on peut faire quelques retraits sans nécessairement mettre la compagnie en danger.
Vous travaillez aujourd’hui avec d’autres équipes au sein de l’organisation. Par exemple, avec le marketing. Concrètement, comment fonctionne cet esprit de collaboration à l’interne?
Ça va bien! Toutefois, au début, j'ai dû trouver des repères. Sur le plan des responsabilités, on doit savoir qu’il y a l’avant-match, le match et l’après-match, et que mes décisions ont un impact à chacune de ces étapes. J’ai toujours travaillé étroitement avec les équipes de marketing. Par exemple, lorsque j’étais chez National, j’avais le compte RP de McDonald’s. J’étais chez Cossette, son agence de publicité, quatre fois par semaine. On se parlait tout le temps et on faisait des plans de communication intégrés. C’est un peu comme ça avec le CH, mais c’est nouveau pour le groupe. Ce genre de collaboration n’existait pas avant. Le marketing hockey et les communications hockey étaient dans des silos séparés et ne se parlaient à peu près jamais. Même chose pour les autres secteurs d’activité. Aujourd’hui, on se rend compte que plus on se parle, mieux c’est.
«Le souhait de Geoff Molson était de créer un groupe responsable de l’ensemble des communications.»
Un autre volet dont on parle beaucoup dans nos conférences est la fameuse marque employeur. Dans le groupe, est-ce que les ressources humaines travaillent avec les communications et le marketing?
Oui, on travaille beaucoup avec les ressources humaines, car elles doivent communiquer de l’information sur une base régulière. On est 500 chez nous. Il y a beaucoup de va-et-vient, de mouvements de personnel ou de nouvelles annoncées à l’interne. Nous avons donc décidé d’assumer cette fonction. Le souhait de Geoff Molson était de créer un groupe responsable de l’ensemble des communications. Le but est d’avoir un regard plus allumé et d’assurer une meilleure cohésion en tenant compte, notamment, du calendrier de nos événements.
Vous avez longtemps travaillé en agence, où vous avez fait beaucoup de gestion de crise. Qu’avez-vous appris?
Ça m’a permis de voir les enjeux avec un regard particulier. J’ai eu la chance d’avoir quatre patrons qui m’ont, chacun, enseigné une leçon. Le premier a été Luc Beauregard, le fondateur de National, où j’ai commencé à travailler en 1988. Avec lui, j’ai acquis la vision d’ensemble. Avec Daniel Lamarre, aujourd’hui le grand patron du Cirque du Soleil, j’ai appris qu’un bon conseiller écoute ses clients. Avec Normand Legault, avec qui j’ai travaillé pendant trois ans au Grand Prix du Canada, j’ai appris la remise en question du modèle établi. Il me disait souvent: «C’est écrit où qu’on doit absolument faire ça de même?» La dernière personne est Francine La Haye, qui a pris sa retraite de National récemment. Elle m’a transmis son souci de la qualité. Jamais un mémo n’était publié avec une faute d’orthographe, et les textes devaient être rédigés simplement. Quatre leçons qui me servent encore au quotidien.
—
En conversation avec… est une série de rencontres avec des professionnels de l'industrie des communications-marketing et des médias. Retrouvez toute la série dans la section «En conversation» du site d'Infopresse.
Cette entrevue a été réalisée dans le cadre de la conférence Infopresse Communications et relations publiques, tenue au printemps 2019.