Comment définit-on une bonne création publicitaire en 2019 ?
Je dirais premièrement qu’une bonne création publicitaire en 2019 n’est pas «publicitaire». Soyons honnêtes, le modèle d’interruption classique selon lequel l’annonceur suspend ce que le consommateur fait, regarde, écoute ou lit pour imposer un message est en train de disparaître. Aujourd’hui, les consommateurs paient pour des services dits «premium». Ils téléchargent des applications pour éviter la publicité, carrément. En réponse à ces nouveaux enjeux, on doit développer des idées qui vont au-delà des médias traditionnels. Dans certains cas, ces idées peuvent même vivre d’elles-mêmes.
Si les marques avaient un défi à relever, lequel serait-il ?
«Les marques d’aujourd’hui doivent prendre position et défendre des valeurs, leurs valeurs.»
Elles doivent trouver leur raison d’être sans pour autant avoir l’air opportunistes. Les marques d’aujourd’hui doivent prendre position et défendre des valeurs, leurs valeurs. Elles ne doivent plus seulement faire partie des discussions de société et s’inscrire dans la culture populaire, elles doivent les devancer.
L’offensive Dream Crazy de Nike, lancée en 2018, qui met en vedette Colin Kaepernick, est l’exemple parfait: la marque a pris position. Avec cette offensive, elle n’a pas essayé de plaire à tout le monde, au contraire. Elle a assumé son identité avec un message «bold» et polarisant. Nike est maintenant un acteur principal dans les discussions entourant la justice sociale défendue par le controversé quart-arrière.
Les consommateurs sont de plus en plus exigeants et «empowered». Comment cela influence-t-il votre travail de publicitaire?
«Le pouvoir des consommateurs se concrétise dans l’action collective.»
Je dirais que les consommateurs sont de plus en plus informés et par conséquent, de plus en plus exigeants. Avant, on achetait des produits simplement parce qu’on les trouvait cool. Maintenant, on achète des produits qui correspondent à nos valeurs. Les consommateurs se demandent comment le produit a été fabriqué, d’où il vient et quel est son impact environnemental. Ils veulent savoir si les travailleurs de l’entreprise sont bien traités et si les dirigeants prônent la diversité.
Le pouvoir des consommateurs donc, se concrétise dans l’action collective: lorsqu’ils se mobilisent et décident d’arrêter de consommer un produit ou un service parce qu’il ne répond plus à leurs valeurs. Un «faux pas commercial» peut être très coûteux pour une marque.
Comment faire pour rester pertinent?
Il faut être curieux, ne pas être réfractaire au changement et s’adapter. Toute la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin repose sur le fait que ce ne sont pas les plus forts qui survivent, mais bien, ceux qui s’adaptent le mieux. On le sait, depuis quelques années, notre industrie vit de profonds changements comme toutes les autres, d’ailleurs. Le consommateur ne communique plus, ne s’informe plus et ne se divertit plus de la même façon. En tant qu’agence, on doit s’adapter à tous ces changements.
Quelle tendance risque surtout de transformer en partie votre travail au cours des prochaines années ?
L’expérience et le contenu de marque sont les tendances du moment. J’aime parler de «storydoing» au lieu de «storytelling» pour définir l’expérience de marque, celle qui place le consommateur au centre de tout. On ne lui transmet plus un message de façon passive. On le place carrément dans une position où il peut interagir directement avec la marque afin de vivre une émotion. C’est la «publicité» d’aujourd’hui, selon moi. La grande différence avec la publicité traditionnelle : le consommateur choisit maintenant ce qu’il consomme comme média, où il le consomme et quand il le consomme.
Quelle offensive avez-vous trouvé inspirante récemment?
J’ai eu la chance d’être à Toronto pour le dévoilement des agences de l’année, il y a deux semaines. Deux idées sont sorties du lot: la campagne Go back to Africa de FCB et l’offensive WestJet Flight Light de Rethink.
La première répertorie la haine sur les plateformes sociales, puis la transforme en message positif afin d’inciter les gens à retourner en Afrique pour redécouvrir tout ce que le pays a à offrir. Une offensive d’une grande intelligence.
La seconde met un projecteur dans les mains des enfants afin qu’ils puissent suivre en temps réel le vol de leurs parents. C’est l’exemple parfait d’une marque qui crée un lien émotif avec le consommateur en lui faisant vivre une expérience.
Bien que ces deux offensives utilisent la technologie, les données, l‘intelligence artificielle et les plateformes sociales, elles proviennent fondamentalement d’une très grande idée. Tout a changé, c’est vrai, mais les grandes idées font encore la différence.
—
Entrevue réalisée pour l'infolettre «Sélection du mois», publiée en partenariat avec CBC Radio-Canada Solutions Média. Ce condensé créatif réunit chaque mois les meilleurs projets et campagnes réalisés.