Quand un ver d'oreille rentre dans le cerveau

04 Oct 2019 Kabane

Par : melanierudel@hotmail.com
Quand un ver d'oreille rentre dans le cerveau

Le neuromarketing, c’est l’application des sciences cognitives au service du marketing afin d’étudier comment nous réagissons face à la publicité et au marketing – avant, pendant et après l’achat.

L’exemple de la dernière campagne de publicité de IGA est, selon moi, une utilisation parfaite du neuromarketing. Je ne sais pas si les concepteurs ont consciemment utilisé cette technique, mais le défi de IGA était quand même grand. La chaîne décide d'éliminer tous les sacs en plastique dans leurs magasins début septembre et on s'attaque à un comportement consommateur qui prend normalement du temps à changer. Combien de fois avez-vous oublié vos*$&%(*$& de sacs en arrivant à l'épicerie?

Leur solution: la création d'un ver d’oreille utilitaire – une musicalité qui rentre vraiment «trop» dans la tête et qui fait qu'on assimile le rythme, les mots, les expressions rapidement.

Lancée le 16 septembre dernier à la radio et sur les plateformes sociales la chanson a cumulé plus de 100 000 vues organiques en l’espace de 24 heures. On dit qu’un vidéoclip officiel verra le jour sous peu. J’ai hâte de voir si on va là aussi utiliser les techniques du neuromarketing avec le volet visuel vidéo. Mais déjà, ils ont une excellente base avec cette chanson du groupe Bleu Jeans Bleu, coton ouaté, sacs réutilisables, leur prochain ver d'oreille sera quoi?

En fait, le neuromarketing nous sert à comprendre ce qui est important pour certaines parties du cerveau et ce qui déclenche les réflexes et l’envie d’acheter et de fredonner une chanson de façon répétitive. Le neuromarketing vise surtout à atteindre notre cerveau reptilien, le plus primitif, celui qui déclenche les réflexes de base.

La publicité a influencé le neuromarketing et aujourd’hui on se sert de cette technique en publicité. Le phénomène du neuromarketing a débuté au début des années 2000 – par une étude scientifique toute bête – qui a elle-même été inspirée par une campagne de publicité qu’a utilisée à la fin des années 80 la marque Pepsi Cola.

Deux chercheurs américains, McClure et Montague qui sont 2 neuropsychologues, ont été fascinés par le défi et la campagne de publicité du Défi PEPSI et ont décidé de reproduire le même phénomène en laboratoire. Ils ont donc mené l’expérience de faire déguster du Pepsi et du Coca-Cola aux gens avec des tests à l’aveugle et ensuite on répétait la même expérience alors que les gens étaient au courant qu’ils buvaient le liquide d’une marque ou de l’autre. Et ceci a levé le voile sur l’un des plus grands paradoxes de l’histoire des marques.

«Les consommateurs n’achètent pas un goût, mais une image, des émotions et des souvenirs culturels associés à une marque.»

Pendant l'expérience avec les participants, on a utilisé un appareil IRM (résonance magnétique du cerveau ) afin de voir les parties du cerveau qui étaient actives pendant la dégustation à l’aveugle et celle qui était active pendant la dégustation avec exposition aux marques. Il a démontré que les émotions perçues par le cerveau sont plus fortes avec Coca-Cola qu’avec Pepsi et que certaines parties du cerveau (le côté reptilien) sont plus actives avec l’exposition à la marque. Les constats: Près de 67% des individus déclarent préférer Pepsi lors du test à l’aveugle – au goût et 75% déclarent préférer Coca-Cola au test avec l'exposition à la marque. Je ne crois pas que les résultats auraient été les mêmes au Québec par exemple, puisque l'historique de Pepsi et les références culturelles et historiques sont beaucoup plus ancrés dans le psyché québécois. En somme: le consommateur ne choisit pas toujours ses produits de manière rationnelle. Les consommateurs n’achètent pas un goût, mais une image, des émotions et des souvenirs culturels/sociétaux associés à une marque.

Cela a inspiré nombreuses autres expériences qui démontrent que la plupart des informations que traitent notre cerveau quand on est exposé aux marques, à la publicité ou au marketing le sont à un niveau inconscient. Donc pour faire mémoriser une publicité, il est plus efficace de se concentrer sur des facteurs inconscients que conscients. Vous comprenez pourquoi les fameux «jingles» fonctionnaient, fonctionnent et vont continuer à être utilisés en technique publicitaire.

Le neuromarketing pour guider les choix en magasin: 

En Europe, on a fait l’expérience de placer deux présentoirs identiques, l’un à la thématique française et l’autre à la thématique allemande: des bouteilles de vins allemands et français ont été placées dans un magasin exactement dans les mêmes conditions. Lorsque la musique du magasin était française, les personnes avaient plus tendance à acheter les vins français et inversement lorsque la musique était allemande. Lorsqu’ils ont été interrogés à la sortie sur leurs choix de la provenance du vin, les consommateurs ont déclaré qu’ils n’avaient même pas prêté attention à la musique dans le magasin et que leur choix de bouteille était plus guidé par le « goût». Ah bon? Depuis quand les vins allemands sont meilleurs au goût que les français?

Le neuromarketing pour la culture:

Il est difficile de remplir les salles pour des spectacles de danse, de ballets, d’opéra et on s'inspire aussi du neuromarketing pour mousser les ventes. Oui, on met de belles images stylisées où on voit les visages des danseurs/chanteurs sur les affiches, mais on va là aussi stimuler aussi le côté «reptilien» du cerveau en utilisant une musique, une thématique qui instantanément va susciter en nous une émotion. Prenons l'exemple de l'œuvre de Carmina Burana: c’est une musique que tout le monde a déjà entendue, même la publicité l'a utilisé plus d'une fois et elle est très efficace parce qu'elle donne tout de suite le ton. Ce n’est donc pas pour rien que les Grands Ballets Canadiens vont ouvrir leur saison en force avec Carmina Burana. Ceci a suscité tellement d’enthousiasme que l’organisme est passé de 6 à 9 représentations et je ne serais pas étonné qu’ils annoncent prochainement d’autres représentations.

D'autres techniques de neuromarketing:

«Les images et les publicités qui incluent des bébés, des enfants ont tendance à attirer une attention plus longue.»

La vue: Jouer avec les contrastes, capter l’attention, faire entrer en jeu les sentiments, les émotions et faire en sorte qu’on s’en rappelle. C’est une vieille technique que d’utiliser des personnes en publicité – on dit que c'est 3X plus efficace que celles qui n'en ont pas. Les images et les publicités qui incluent des bébés, des enfants ont tendance à attirer une attention plus longue et plus ciblée des consommateurs. Les annonceurs tentent depuis longtemps d'augmenter leurs ventes de produits pour bébés en utilisant des gros plans de visages adorables pour bébés. Avec l'aide de la technologie de suivi du regard, les annonceurs ont maintenant pris en compte le fait que, bien que les visages de bébé soient populaires, ils veillent également à ce que celui-ci regarde ce qu'il souhaite que le consommateur achète.

La couleur:  L’utilisation du neuromarketing pour les emballages de produits. Nous connaissons tous le sentiment d'être attirés par un emballage particulièrement frappant ou attrayant versus un autre. Des marques telles que Campbell’s et Frito-Lay ont eu recours à la neuro-imagerie pour ré-imaginer leurs emballages. Des études ont montré aux clients que les réponses étaient enregistrées comme positives, négatives ou neutres. Cette étude a révélé que les clients réagissaient négativement aux emballages brillants, mais n’avaient pas réagi négativement aux emballages mats. Frito-Lay a ensuite abandonné l'emballage brillant et a poursuivi avec le nouveau look mat. On recommande de plus en plus dans le développement d'emballage de faire plusieurs tests en situation de magasin afin de tester l'efficacité, la visibilité, l'effet «billboard» sur les étagères et ce vers quoi l'œil (et le cerveau) est attiré. C'est probablement l'une des disciplines de communication qui utilise et qui doit utiliser le plus le neuromarketing.

L’odorat: Les boulangeries et l’odeur qui joue sur le cerveau et qui donne envie d’acheter lorsqu'on passe devant. Cela peut aussi être l’association d’une odeur, d’un parfum à un magasin (de prêt-à-porter par exemple).

Le toucher, le goût: Dans le domaine du textile ou avec des dégustations dans les grandes surfaces. Ils jouent sur les émotions et les stimulent directement.

«Le neuromarketing a suscité beaucoup de débats sur son utilisation en Europe.»

Le neuromarketing a suscité beaucoup de débats sur son utilisation en Europe, un peu moins ici. On dirait qu'on l'utilise de façon plus «intuitive et spontanée». N'empêche que de comprendre ce qui stimule les besoins primaires des consommateurs, au niveau des émotions, des symboles, des couleurs, des musicalités et tout ce qui touche les sens va peut-être permettre de créer plus de petits bijoux qui s'incrustent dans nos esprits lorsqu'on se retrouve à fredonner «tu vas toujours travailler avec ton sandwich au baloney».

À propos de l'auteure:

sonya bacon

kabane

Sonya Bacon est spécialiste image de marque et directrice générale de l’agence Kabane à Montréal.

Passionnée de branding et virtuose des communications corporatives, Sonya fait sa marque dans l’industrie. En plus d’avoir occupé des rôles de VP dans des agences de renom, elle transmet son savoir-faire à l’université Concordia et à l’université de Sherbrooke.

Cette stratège de haut calibre a su apporter un regard nouveau et pertinent aux enjeux de clients de tous azimuts : alimentaire, télécommunications, emballage, pharmaceutique, divertissement, vente et services financiers.

Parmi ses clients, notons BMO Banque de Montréal, Banque Nationale, Pfizer, Loto-Québec, Videotron, Transat, Archambault, IMAX, IGA, Marchés Publics de Montréal, Plaisirs Gastronomiques, Érable du Québec.