Dès lors que l’on admet que les consommateurs n’aiment généralement pas se faire déranger par la publicité, on peut se poser la question suivante: toutes publicités traditionnelles (bannières, pauses publicitaires, vidéos de prévisionnement) sont-elles nécessairement intrusives?
«C’est la mécanique de diffusion qui l’est, précise Pascal De Decker, chef de la création et associé de The Unknown, qui compte 25 ans d’expérience en agences publicitaires, tant au Canada qu’en Europe. Il ne faut toutefois pas tenir pour acquis que les gens détestent la publicité. Lorsqu’elle est de bonne qualité, les gens en parlent et la partagent dans leurs réseaux sociaux.»
Le modèle intrusif dont il fait état renvoie aux publicités qui continuent de gêner les gens dans leur divertissement, alors que ceux-ci ont migré vers des plateformes comme Netflix, et se sont donc habitués à consommer leur contenu sans publicités.
«Les nouvelles générations se rebellent contre ce modèle et vont jusqu’à détruire publiquement les marques qui s’entêtent à interrompre leur visionnement pour faire du placement de produit», explique Fayçal Hajji, fondateur, président et associé de la nouvelle agence. Ce dernier évolue dans le monde publicitaire depuis près de 12 ans, mais du côté de la production, notamment avec FH studio, dont il est toujours le propriétaire.
Ce rejet vient aussi de la répétition incessante des mêmes publicités, où même si elles sont excellentes lorsqu’elles sont visionnées une première fois, finissent par irriter au bout de cinq fois.
Divertissement de marque vs placement de produit
Le divertissement de marque consiste à créer un divertissement construit autour d’une problématique marketing ou de relations publiques. Il peut se traduire en film, en spectacle, en diffusion en direct, en balado, en photo… n’importe quel format qui pourra résonner avec l’ambiance que la marque souhaite créer.
Un parfait exemple d’un divertissement de marque est celui de la série Uncle Drew, présenté par Pepsi, dans lequel cette dernière a créé un scénario où un grand joueur de la NBA est déguisé en personne âgée et se rend avec son neveu dans un ghetto et fait la démonstration qu’il sait encore jouer. «La série est devenue virale et ils ont même réalisé un film à partir de celle-ci, illustre Fayçal Hajji. Au final, c’était un excellent retour sur investissement comme ils ont pratiquement fait des profits par rapport aux coûts de production de ce contenu.»
Dans la série, Pepsi apparaît rarement, sauf à certains moments, mais en arrière-scène, sans voir le logo en gros plan.
Il faut se garder toutefois de confondre le divertissement de marque et le placement de produit pour lequel il existe un scénario et où l’on introduit des produits dans ce dernier. Une bonne intégration de produit se fait de façon naturelle dans le contenu.
C’était le cas de Mercedez-Benz dans la série américaine The Handmaid’s Tale («La servante écarlate»).
«La série a fait un partenariat avec Mercedes-Benz où le G-Wagen, sa marque la plus luxueuse, est conduite par tous les gardes du corps et représentants du gouvernement sans jamais que l’on voit le logo au complet, illustre Fayçal Hajji. Par contre, les personnages au volant répondent parfaitement aux mannequins ou comédiens que la marque aurait recruté dans une publicité traditionnelle, de la montre qu’il porte, à sa tenue vestimentaire jusqu’aux lunettes.»
Il s’agit certes de la répétition, mais jamais intrusive, car l’angle change chaque fois.
Certains vont encore plus loin dans cette intégration non intrusive. «Lorsque l’on regarde un film ou une série Amazon aux États-Unis et que tu appuies sur pause, toutes les informations apparaissent, d’abord, le nom des comédiens, mais aussi tous les produits qui sont vendus sur Amazon et sur lesquels il est possible de cliquer», soutient Pascal De Decker.
Prêt pas prêt, le changement est là
Le divertissement de marque peut faire peur à des annonceurs qui sont habitués à la mécanique publicitaire traditionnelle. Sont-ils prêts, eux, à la délaisser pour faire place au divertissement de marque?
«Ils ne sont pas fous, ils voient la façon dont les agences publicitaires opèrent et constatent la migration des consommateurs vers les chaînes de diffusion de contenu en continue, les bloqueurs de publicité (adblockers), etc.», souligne Pascal De Decker.
Pour The Unknown, ce changement des mentalités passe notamment par l’éducation, sans nécessairement tout chambouler d’un coup. «On commence par leur donner ce qu’ils veulent, ce qu’ils sont habitués de faire, puis on leur fait la démonstration de l’efficacité du divertissement de marque en s’attaquant à un petit projet», mentionne Fayçal Hajji.
L’équipe a ainsi réalisé un documentaire de six minutes sur le parcours de l’une des femmes les plus admirables, selon le magazine Forbes de 2011: Siza Mzimela, la PDG de South African Airways, une des rares femmes au monde à la tête d’une entreprise d’aviation. «Dans le film, la marque Bombardier n’apparaît qu’au début et à la fin», précise-t-il.
«Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on n’est pas en train de réinventer la roue: on optimise une façon de faire qui se voyait beaucoup par le passé», affirme-t-il.
L’exemple classique est celui de Michelin, qui avait proposé le gastronomique hôtelier et touristique Michelin, où il n’est jamais question des pneus vendus par la marque.
C’est aussi le cas des «Soap opera», ces feuilletons radiophoniques qui étaient produits et commandités par des fabricants de savon dans les années 1950-1960. «Les entreprises voulaient donner une raison aux femmes de demeurer au foyer et elles ont vu leurs ventes de savon augmenter avec ces Soap.»
«Aujourd'hui, des joueurs comme Netflix, Disney Plus, YouTube et Facebook lancent des séries, dit Fayçal Hajji. Nous y voyons une opportunité pour les marques de financer la télé, les séries ou toute autre forme de contenu, en ayant la possibilité en plus de recueillir des données sur les audiences et d’obtenir un bon retour sur investissement. »
—
Photo tirée de la série Uncle Drew de Pepsi.