«Les agences doivent prouver à leurs clients que leur travail a encore de la valeur»

Vous avez occupé le poste de président de Publicis Amérique latine pendant 15 ans. Comment dirige-t-on un groupe international à l’échelle d’une région comme l’Amérique latine?

«Aujourd’hui, les entreprises les plus performantes au niveau mondial sont celles qui développent une vraie sensibilité.»

Dans un premier temps, il faut s’assurer que la vision globale du groupe soit comprise, acceptée et exécutée. Une agence comme Publicis, présente dans 110 pays avec plus de 80 000 employés, doit faire en sorte que tout le monde aille dans la même direction et intègre des valeurs communes.

Ensuite, mon rôle consistait à transmettre une direction précise à l’échelle de l’Amérique latine, en prenant en compte les différences et les spécificités de chaque interlocuteur. Cette mission est à la fois passionnante et complexe.

Le soin accordé à la compréhension du marché local est l’une des conditions du succès. Aujourd’hui, les entreprises les plus performantes au niveau mondial sont celles qui développent une vraie sensibilité et une analyse approfondie des différences géographiques, idéologiques et culturelles de chaque région. Elles doivent être flexibles pour s’adapter facilement à chaque pays et intégrer leurs offres de manière naturelle.

C’est l’une des leçons que je retiens de mon expérience chez Publicis: pour réussir, il faut savoir adapter sa vision globale avec une saveur locale, à l’interne comme à l’externe.

Comment analysez-vous le monde de la publicité aujourd’hui?

La publicité connaît une période difficile au niveau mondial. Les agences doivent prouver à leurs clients que leur travail a encore de la valeur. La plupart des structures que je connais et avec qui j’ai travaillé ne sont plus seulement des agences de publicité mais offrent une gamme de services beaucoup plus large. Désormais, la communication dans son ensemble englobe le digital, l’événementiel, l’expérience de marque, le e-commerce, les relations presse etc.

Aujourd’hui, les marques demandent des solutions globales et intégrées. Et la publicité n’est qu’une partie de la réponse. Pour rester profitables, les grands groupes publicitaires ne doivent plus travailler de façon fragmentée mais proposer une palette de solutions à leurs clients. 

C'est-à-dire?

«Les agences créatives ne vont pas disparaître, mais ont besoin d’évoluer, de créer de nouvelles synergies pour continuer à se développer.»

Même si certains professionnels du secteur s’opposent à ce constat, il est nécessaire de faire évoluer ses missions. Comment expliquez-vous qu’une agence comme Droga5 soit soudainement rachetée par Accenture? On parle d’une des agences les plus créatives au monde, et tout le monde imaginait qu’elle allait rester indépendante. Pourtant, un groupe issu du monde de la finance en a fait l’acquisition.

Cet exemple illustre bien les rapprochements et la porosité entre différents secteurs. Les agences créatives ne vont pas disparaître, mais ont besoin d’évoluer, de créer de nouvelles synergies pour continuer à se développer.  

Chez Publicis, vous étiez basé au Mexique. Quelle place occupe ce pays dans le marché publicitaire mondial?

Le Mexique a toujours été un pays très créatif dans de nombreux domaines: l’art, l’architecture, la gastronomie, le cinéma, la photographie, la peinture etc. L’héritage et le vivier créatif sont très importants. Néanmoins, pendant de nombreuses années, le monde de la publicité a ignoré ces spécificités. Il a fallu du temps aux agences pour comprendre et surtout intégrer l'identité culturelle mexicaine dans la publicité. Désormais, le Mexique est reconnu à l’échelle mondiale pour sa créativité et son influence.

Et comment voyez-vous la publicité de demain?

Quand j’ai quitté Publicis, c’était une décision personnelle motivée par le fait que, pour moi, la publicité est aujourd’hui limitée et le nouvel enjeu concerne l’expérience de marque. Comment peut-on guider les publics de façon plus immersive, pertinente et mémorable?  La publicité est une partie importante de la réponse, mais ne résout pas toute l’équation. Aujourd'hui, l'expérience dans son ensemble doit être irréprochable. 

Vous avez été nommé PDG de Massivart. Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à vous lancer dans cette nouvelle expérience?

«Comment peut-on guider les publics de façon plus immersive, pertinente et mémorable?»

J’ai travaillé pendant de nombreuses années pour de très grosses entreprises. J’ai atteint un certain niveau, une certaine réputation au sein de l’industrie, particulièrement en Amérique latine. En quittant Publicis, je souhaitais me concentrer sur ce qui m’animait et surtout explorer quelque chose de totalement différent. La première option était de créer ma propre société, la deuxième de joindre mes forces avec des personnes avec la même ambition que la mienne et une exigence créative élevée.

J’ai toujours été impressionné par les industries créatives à Montréal et au Québec. C’est une région très stimulante avec de nombreuses opportunités. J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs organisations, dont Massivart. J’ai été séduit par la proposition de valeur complètement différente de cette agence qui regroupe différents domaines que je connais et apprécie, comme l’art, le marketing et le consulting.

Votre arrivée coïncide avec l’ouverture d’un bureau de l’agence à Mexico. L'international est donc une priorité?

Les synergies entre le Mexique et le Québec sont nombreuses et, après plusieurs discussions, nous avons estimé que développer Massivart en Amérique latine était une évolution naturelle. Cette agence grandit très vite, avec des projets en Chine, à Dubaï ou encore à New York. Je partage la vision des associés sur ce que peut être le futur de l’agence sur la scène internationale.

Vous parliez de synergies à trouver entre les agences et d’autres secteurs. L’art en fait partie?

«L’art et la culture sont deux déclencheurs très puissants pour connecter les marques avec les consommateurs.»

Tout à fait. L’art et la culture sont deux déclencheurs très puissants pour connecter les marques avec les consommateurs. Tout le monde éprouve une émotion face à une œuvre. La musique, la photographie, la peinture, le cinéma ou encore la sculpture sont des médiums très forts qui ne laissent personne indifférent.

Si vous utilisez ces déclencheurs dans le monde du marketing et de la publicité, de façon réfléchie et en collaboration avec des professionnels experts dans le monde des arts, le résultat est très fort. Les gens entrent en contact avec une marque d’une façon complètement nouvelle, unique et personnelle.

frédéric loury

Crédit: Pavlo Tull

Initialement réservé à un petit cercle de sociétés via des collections privées, l’art en entreprise tend à se démocratiser. Parmi les différentes solutions, Art Souterrain permet à des organismes de bénéficier de son expertise pour la mise en place et la présentation d’expositions in situ. Une initiative née il y a quatre ans, à la demande des employeurs québécois. «Les entreprises souhaitent renouveler leurs espaces de manière originale tout en créant un environnement plus stimulant pour leurs collaborateurs», dit Frédéric Loury, directeur d’Art Souterrain.

Un atout pour faire vivre l’entreprise à l’interne

«Les employeurs veulent créer des environnements de travail qui se distinguent de la concurrence.»

À l’heure où les entreprises québécoises connaissent des enjeux de rétention de main d’œuvre, l’amélioration de la qualité de vie au travail peut faire la différence. «Les employeurs veulent créer des environnements de travail qui se distinguent de la concurrence, au sein desquels les employés peuvent s’épanouir et s’identifier à la dynamique de la marque ou de l’entreprise», analyse Frédéric Loury. Outre les sentiments de bien-être et d’appartenance, Art Souterrain met en avant la capacité qu’a l’art à encourager la créativité et l’ingéniosité des employés. Pour se faire, l’organisme propose aux entreprises d’organiser différentes activités comme des 5 à 7 dans l’exposition en présence de l’artiste, des visites guidées, l’organisation de discussions thématiques sur l’art contemporain ou encore des séances de travail dans l’atelier de l’artiste.

Des opportunités en développement d’affaires

«Une image créative, ambitieuse, pionnière, qui n’est pas dans le conformisme.»

L’art a également un rôle dans le développement des affaires. «L’art contemporain est, par définition, en relation avec notre époque. Lorsqu’une entreprise accueille une exposition, elle renvoie l’image d’une organisation créative, ambitieuse, pionnière, qui n’est pas dans le conformisme. Le bureau crée une ambiance, donc une image. Il participe à l’identité globale de l’entreprise», explique Frédéric Loury. Comme pour les employés, Art Souterrain propose différentes activités aux entreprises à destination de leurs clients et de leurs prospects. «L’aspect événementiel d’une exposition est un élément très important. Elle crée des vernissages, des discussions, des rencontres. Pour une entreprise, les opportunités sont nombreuses.»

Afin de guider les entreprises dans le choix des œuvres, Art Souterrain propose un processus d’accompagnement en plusieurs étapes. «D’abord, nous rencontrons les dirigeants pour définir les attentes et les envies. Nous visitons également les espaces pour déterminer les œuvres les plus appropriées. Ensuite, nous proposons aux entreprises de choisir entre trois artistes. Art Souterrain s’occupe de l’administratif, de la logistique, du transport etc. Nous nous chargeons également d’installer les œuvres et d’organiser le vernissage et les activités éventuelles», détaille Frédéric Loury.

«Mettre en place des expositions temporaires de 2 ou 3 mois.»

Aujourd’hui, plus d’une quinzaine d’entreprises ont déjà testé ce programme, que ce soit de manière ponctuelle ou régulière. «Souvent, lorsqu’une œuvre d’art reste trop longtemps dans un même espace, on ne le la voit plus. C’est pourquoi nous invitons les entreprises à mettre en place des expositions temporaires de deux ou trois mois.» Certaines ont d’ailleurs sollicité la structure pour concevoir un planning d’expositions sur du long terme. «Nous avons par exemple noué une vraie relation de confiance avec Ubisoft, qui a des expositions prévues jusqu’en octobre 2020», illustre Frédéric Loury.